Diagnostics Genre des programmes menés dans 2 villages de la région de Koudougou – Burkina Faso
Note de synthèse
Introduction
La question des rapports de genre est depuis longtemps une véritable source de préoccupation au sein de l’ONG Autre Terre. Depuis plus de 20 ans, ses programmes ciblaient spécifiquement l’amélioration des conditions de vie des femmes en soutenant leur organisation et le développement de revenus. Toutefois, cette approche ne permettait de résoudre qu’une partie des problèmes, voir en créait d’autres en isolant les femmes de leur communauté et en surchargeant encore davantage leur emploi du temps et leurs responsabilités. Ainsi, depuis 2018, Autre Terre s’est mise en réflexion afin d’améliorer plus substantivement la qualité des rapports de genre au sein de ses programmes. Une étape essentielle a été franchie en mai 2019, lorsqu’un premier diagnostic de « terrain » a pu être réalisé. Il s’agissait d’analyser les rapports de genre dans deux communautés où sont implantés depuis près de 10 ans des programmes d’Autre Terre.
Communauté ciblée
Ces communautés de la région de Koudougou au Burkina Faso ont la particularité d’avoir été impliquées dans le même programme de soutien à la promotion de l’agroécologie. Il s’agit (car le programme est toujours en cours) d’accompagner la structuration et l’émancipation économique de groupements féminins via la promotion du maraîchage agroécologique dans un premier temps puis de la transformation du karité plus récemment. Ces deux communautés, quoique accompagnées de manière similaire et distantes de seulement quelques kilomètres, ont développé des stratégies différentes face à ce programme. De plus, elles sont d’appartenance religieuse différente : l’une chrétienne et l’autre musulmane.
Question et objectifs du diagnostic
Question de la recherche
Quels sont les besoins pratiques[1] et les intérêts stratégiques[2] des femmes bénéficiaires des groupements de Rana et Pousghin en mai 2019 dans une perspective d’égalité femme/homme?
Objectifs de la recherche
- Établir un diagnostic d’une situation à un moment donné dans un des programmes d’Autre Terre à l’aide d’un outil diagnostic et d’une méthodologie créés au préalable ;
- Recenser les impacts positifs et négatifs du programme sur les conditions de vie des bénéficiaires et sur les relations femme/homme dans les communautés visées dans un rapport qui explicite l’outil d’analyse des données récoltées.
- Grâce à l’outil d’analyse identifier les besoins pratiques et les intérêts stratégiques des bénéficiaires des groupements
Méthode d’enquête
- Analyse et identification du contexte avec le soutien des équipes burkinabées et d’une accompagnatrice burkinabée.
- Réalisations d’interviews individuelles avec les femmes et les maris des villages. Ces interviews prennent en compte tant les personnes impliquées dans le programme que celles non impliquées (f/h) et analysent l’emploi du temps, la production, l’accès et le contrôle des ressources, la participation et l’expérience vécue des personnes interviewées.
- Réalisation de focus groups [3] : utilisation du mandala de l’agroécologie et de ses 7 axes.
- Utilisation d’outils élaborés par des ONG belges pour l’analyse.
Résultats
Les rapports de genre ont été analysés selon la méthode du mandala de l’agroécologie du Monde selon les Femmes. Cet outil développe 7 axes d’analyses qui permettent d’étudier les rapports de genre dans le cadre de projets de promotion de l’agroécologie.
Axe 1 : Coresponsabilité familiale
Il s’est avéré qu’en saison sèche, la femme assume tant les tâches reproductives et productives que la charge financière. Elle est alors débordée et stressée. Le programme a donc eu pour conséquence d’accroître la responsabilité et le nombre de tâches attribuées aux femmes. Toutefois, au niveau de la prise de décision, le programme a permis aux femmes d’apprendre à prendre la parole, ce qui les aide aussi lors des réunions en communauté. L’homme prend cependant toutes les décisions importantes qui concernent la famille et la communauté.
- ==> Le programme pourrait sensibiliser les familles à la coresponsabilité (formations) pour ne pas devenir une charge supplémentaire pour les femmes bénéficiaires et créer un déséquilibre non souhaité en soulageant trop les hommes et en ne les impliquant pas.
- ==> En fonction des groupements, les hommes/maris aimeraient participer ou non aux projets qui pour le moment sont exclusivement féminins. En fonction des groupements les femmes sont pour ou totalement contre cette idée. Ce qui par contre est certain, c’est que pour un meilleur équilibre et une meilleure acceptation du projet, les hommes doivent être impliqués d’une certaine manière. Ceci devrait être envisagé dès l’élaboration du projet.
Axe 2 : L’accès et le contrôle des ressources
Les bénéficiaires ont accès et plus ou moins le contrôle de la terre grâce au projet. Au fur et à mesure, elles gagnent assez d’argent pour s’acheter le matériel et l’équipement nécessaire pour entretenir leur parcelle et un vélo comme moyen de transport. Il reste cependant des femmes bénéficiaires et beaucoup de femmes non bénéficiaires qui n’ont pas leur propre matériel et dépendent de celui de leurs maris qui peut décider de l’utiliser ou de leur confisquer à tout moment. Pour certaines, utiliser les outils du mari implique donc qu’elles ne peuvent pas les utiliser à leur guise et qu’elles lui sont redevables, ce qui implique souvent qu’elles doivent lui donner une partie de leur salaire.
- ==> L’animatrice du projet pourrait inciter les dames du village à économiser afin d’acheter leur propre matériel et vélo pour se déplacer et être plus indépendantes et moins redevables.
Axe 3 : Production durable
Cet axe a des résultats très positif dans l’analyse. Toutes les bénéficiaires et leurs maris témoignent du fait que le projet est durable et que l’agroécologie améliore leurs conditions de travail.
Axe 4 : Destination de production (commercialisation)
Toutes les bénéficiaires ont leur place sur le marché et commercialisent leurs produits issus de l’agroécologie facilement.
Axe 5 : Travail digne
Toutes les bénéficiaires témoignent du fait que le projet leur permet de vivre plus dignement, elles et leurs familles, grâce au revenu fixe. Cela soulage aussi leur pression de devoir assurer l’alimentation et les finances du ménage. Cependant, la surcharge de travail ne leur permet pas de vivre totalement dignement.
- ==> Le travail sur la sensibilisation à la coresponsabilité du premier axe aiderait à ce sujet.
Axe 6 : Sécurité
Depuis le début du projet les bénéficiaires sont soulagées et se sentent plus en sécurité au niveau alimentaire mais aussi financier.
- ==> Le travail sur l’axe « accès et contrôle des ressources » pourrait renforcer ce sentiment de sécurité en incitant les dames à acquérir leur propre matériel et ainsi être plus indépendantes.
Axe 7 : Savoirs locaux
Les bénéficiaires détiennent des savoirs en agroécologie grâce aux formations et à la pratique sur les parcelles du projet qu’elles reproduisent chez elles. Ceci leur procure le respect du reste du village et même des villages alentours. Elles deviennent détentrices de savoirs et le diffusent, ce qui a souvent pour effet une émancipation personnelle au niveau de la prise de parole et de la participation en communauté.
- ==> Le programme doit cependant veiller à réorganiser quelques fois par an des rappels et des formations en agroécologie pour les nouvelles recrues et veiller à ce que les femmes formées sachent partager leurs savoirs avec la communauté (apprendre à apprendre) et le fassent aussi avec les personnes non-bénéficiaires.
Conclusion, impact du programme et pistes à envisager pour l’avenir
Le projet d’Autre Terre et son partenaire le Baobab semble avoir de nombreux impacts positifs sur l’émancipation personnelle et sociale des dames qui en bénéficient. Trois axes ont cependant mis en évidence des aspects du projet sur lesquelles Autre Terre et le Baobab peuvent travailler afin d’améliorer l’équité de genre : la coresponsabilité familiale, l’accès et le contrôle de certaines ressources et le travail digne qui en découle.
Autre Terre n’étant pas en première ligne sur le terrain, elle peut cependant baliser le travail de ses partenaires en en intégrant la dimension genre dès la conception du projet dans les cadres logiques et les indicateurs, ainsi qu’en proposant régulièrement des formations sur la thématique du genre ou des pistes à ce sujet dans les réunions avec les partenaires. De plus, la systématisation d’enquêtes telles que celle décrite ci-dessus peut faciliter la compréhension des dynamiques locales et permettre de prendre des mesures adaptées aux différents contextes d’intervention.
« Il est temps pour les femmes d’arrêter d’être fâchées poliment.«
Leymah Gbowee – Prix Nobel de la Paix
« L’égalité des sexes est plus qu’un objectif en soi. C’est une condition préalable pour relever le défi de la réduction de la pauvreté, de la promotion du développement durable et de la bonne gouvernance. »
Kofi Annan, 7ème secrétaire général de l’ONU
- Retrouvez également le témoignage de l’auteure après son voyage : https://www.autreterre.org/genre-feminisme-et-cooperation/
- Cet article fait partie d’Autre Terre Magazine #6 qui parle de l’équité entre femmes et hommes. Pour lire les autres articles, cliquez-ici.
[1] Les « besoins pratiques » sont les éléments qui améliorent les conditions de vie en matière d’accès à des soins de santé, à l’habitat, aux revenus, à la garde des enfants, etc. Ces besoins pratiques peuvent généralement être satisfaits par des apports matériels. De plus, la satisfaction de ces besoins ne modifie pas forcément les situations d’inégalités (IDP, 2019).
[2] Les intérêts stratégiques sont la progression en matière de statut social et d’égalité : gestion du patrimoine, changements législatifs, droits, meilleure participation aux décisions, ect. Ils sont liés aux contextes politiques, culturels, sociaux-économiques, qui fondent des situations inégalitaires. Ainsi, les avancées dans la satisfaction des besoins stratégiques des femmes (réduction des inégalités de salaires, des violences envers les femmes, de la représentation politique…) sont de nature à réduire les inégalités (IDP, 2019).
[3] Méthode d’interview en groupe. Uniquement réalisés avec des groupes de femmes dans ce cas-ci.